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Salon du livre de Paris : Une occasion unique et
élégante pour les éditeurs arabes de parler de la cult=
ure
palestiienne
«Je ne pense pas qu'un Etat qui maintient une
occupation, en commettant quotidiennement des crimes contre des civils,
mérite d'être invité à quelque semaine culturelle
que ce soit. Ceci est anticulturel; c'est un acte barbare travesti de cultu=
re
de façon cynique. Cela manifeste un soutien à Israël, et
peut-être aussi à la France, qui appuie l'occupation. Et je ne
veux pas, moi, y participer.»
Aaron Shabtai Grand poète israélien
Pr Chems Eddine CHITOUR
C'est en ces termes qu'Aaron Shebtai a répondu à l'invitation
à participer au Salon du livre de Paris. On doit, à l'immense
poète, le poème suivant à propos de la guerre
d'Israël aux enfants palestiniens:
«Le signe de Caïn n'apparaîtra pas sur le soldat qui tire =
sur
la tête d'un enfant depuis une colline au-dessus de l'enceinte autour=
du
camp de réfugiés parce que sous le casque, pour parler en ter=
mes
conceptuels, sa tête est en carton»....
Un autre auteur dissident Ilan Pappe, qui refuse lui aussi de participer,
écrit: «La purification ethnique continue et Israël veut =
vous
la faire accepter. Quand naquit l'Etat (d'Israël), personne ne lui
reprocha l'épuration ethnique sur laquelle il s'était
fondé, un crime contre l'humanité commis par ceux qui la
planifièrent et la réalisèrent. Dès ce
moment-là, l'épuration ethnique devint une idéologie, =
un
ornement infrastructurel de l'Etat». On remarque que beaucoup d'auteu=
rs
israéliens dénoncent la politique de leur pays envers les
Palestiniens.
De quoi s'agit-il en fait? «Un évènement exceptionnel, =
la
venue en France de 39 écrivains d'Israël de langue
hébraïque, invités par le Centre national du livre, le
ministère français des Affaires étrangères et l=
es
pouvoirs publics israéliens. Rendez-vous sur le Pavillon d'honneur a=
ux
couleurs d'Israël pour des débats, tables rondes, lectures,
animations pour la jeunesse, performances musicales et théâtra=
les,
projections de films: autant de représentations et d'illustrations d=
'une
société moderne à découvrir et comprendre en de=
hors
de tous clichés». Voilà ce qui est écrit sur le =
site
Internet du Salon. 369 sont prévues dans ce Salon dont près d=
'un
quart seront faites par des auteurs israéliens, cela ne s'est jamais=
vu.
Invitation déplacée
Israël est l'invité d'honneur du Salon du livre 2008 à
Paris, qui doit être inauguré le 13 mars par le préside=
nt
Nicolas Sarkozy et son homologue israélien, Shimon Pérè=
;s.
Après le Liban, le Maroc, la Tunisie et l'Algérie ont
annulé la réservation de leurs stands officiels. Le choix
d'Israël comme invité d'honneur du Salon du livre 2008 à
Paris, l'année des 60 ans de la création de l'Etat héb=
reu,
continue d'irriter des intellectuels arabo-musulmans, malgré les
protestations de neutralité de l'organisateur. L'Organisation
éducative, scientifique et culturelle islamique a également
exhorté, mardi dernier, ses 50 Etats membres à boycotter le S=
alon
du livre, pour protester contre l'honneur fait, selon elle, à l'Etat
hébreu «malgré ses atrocités, l'oppression, la
famine et le siège du peuple palestinien».(1)
«Il n'est pas digne de la France, le pays de la Révolution et =
des
droits de l'homme, d'accueillir dans son Salon du livre un pays d'occupation
raciste», a déclaré le président de l'Union des
écrivains palestiniens, Al-Moutawakel. Face aux critiques, le
ministère des Affaires étrangères français a
justifié l'invitation faite à Israël et jugé tout
boycott «extrêmement regrettable». La ministre de la Cult=
ure
et de la Communication regrette qu'un certain nombre de pays arabes refusen=
t de
participer au Salon du Livre de Paris au motif qu'Israël est
l'invité d'honneur. La ministre rappelle que «le Salon du livre
est un lieu de rencontres et de débats libres, propice au dialogue le
plus ouvert entre les cultures». «La France, poursuit la minist=
re,
entend poursuivre cette politique d'accueil de toutes les littératur=
es,
sans exclusive ni interdits». De son côté, le Syndicat
national de l'édition (SNE), tient à préciser que
«l'invitation d'Israël en 2008 a été annoncé=
;e
il y a plus d'un an: les pays qui viennent d'annuler leur stand l'avaient
réservé en connaissance de cause».
On a pu lire aussi dans Le Monde daté du 29 février une prise=
de
position de Tariq Ramadan qui prône une «présence critiq=
ue
à Paris», alors qu'il défend le «boycottage &agra=
ve;
Turin». Si c'est la littérature israélienne qui est
invitée d'honneur en France, c'est bien l'Etat d'Israël que l'on
célèbrera en mai prochain en Italie à l'occasion de son
60e anniversaire. Libération a publié le même jour un
intéressant point de vue de Mickaël Parienté, édi=
teur
et écrivain, intitulé: «Littérature
hébraïque ou israélienne?».
Pourquoi cette conjonction avec un anniversaire controversé? La Fran=
ce
avait une occasion unique de se remémorer «Mai 1968»,
évènement à portée planétaire qui aurait
effectivement une dimension importante (le quarantième anniversaire)=
. Il
est vrai que dans la nouvelle vision, Mai 1968 est rejeté car il a
détruit l'ordre ancien, la meilleure preuve est qu'une seule conf&ea=
cute;rence
a été programmée avec un titre éloquent «=
Que
reste-t-il de mai 1968?».
Il est difficile de ne pas y voir une corrélation avec le 60e
anniversaire de la Nekba palestinienne, appelée en Occident naissanc=
e de
l'Etat d'Israël dont la création a pris véritablement
naissance en novembre 1917 quand Lord Balfour écrit à Rothsch=
ild
pour l'informer de la détermination de sa majesté à of=
frir
un «foyer» aux Juifs de la diaspora. En fait et pour être
plus juste, il y eut une tentative au XVe siècle d'un certain David
Rabbani pour convaincre, en vain, le sultan de Constantinople de donner une
terre aux Juifs. Il a fallu attendre le Congrès de Bâle en 1897
pour que Théodore Herzl, l'idéologue du sionisme, pose les
fondements du sionisme et partant, de l'Etat d'Israël. Ecoutons-le nous
résumer les conclusions: «Si je devais résumer le
Congrès de Bâle en un mot - ce que je me garderais bien de fai=
re
publiquement - ce serait celui-ci: à Bâle, j'ai fondé l=
'État
des Juifs. Si je le disais aujourd'hui, je récolterais un rire
universel. Peut-être dans cinq ans, en tout cas dans cinquante, chacun
s'en rendra compte....J'ai chauffé les gens progressivement en
créant une ambiance étatique et j'ai produit en eux le sentim=
ent
qu'ils étaient l'Assemblée nationale.»(2).
Comment Israël a-t-il pu, en l'espace de 60 ans, prendre 80% des terres
palestiniennes? en chassant ses occupants naturels pour des Askhenazes
ameutés du bout du monde avec les dollars de l'Aipac comme prime
d'installation en Israël. Les propos d'Albert Einstein et d'autres
personnalités formalisés dans une lettre adressée au N=
ew
York Times au sujet de Begin et d'Israël le 2 décembre 1948,
quelques mois après la reconnaissance d'Israël, expliquent la
«technique employée»: «Avant que des dommages
irréparables soient faits par des contributions financières, =
des
manifestations publiques en soutien à Begin et avant de donner
l'impression en Palestine qu'une grande partie de l'Amérique soutient
des éléments fascistes en Israël, le public améri=
cain
doit être informé sur le passé et les objectifs de M.Be=
gin
et de son mouvement. Aujourd'hui ils parlent de liberté, de
démocratie et d'anti-impérialisme, alors que jusqu'à
récemment ils ont prêché ouvertement la doctrine de l'E=
tat
fasciste. Parmi les phénomènes politiques les plus
inquiétants de notre époque, il y a dans l'Etat nouvellement
créé d'Israël, l'apparition du "Parti de la
Liberté" (Tnuat Haherut), un parti politique étroitement
apparenté dans son organisation, ses méthodes, sa philosophie
politique et son appel social aux partis Nazi et fascistes. Il a
été formé par les membres et partisans de l'ancien Irg=
un
Zvai Leumi, une organisation terroriste d'Extrème-Droite et national=
iste
en Palestine. Il est inconcevable que ceux qui s'opposent au fascisme dans =
le
monde entier, si correctement informés quant au passé et aux
perspectives politiques de M.Begin, puissent ajouter leurs noms et soutenir=
le
mouvement qu'il représente».(3)
C'est dire si cet anniversaire est controversé et si cette invitation
était déplacée, car en creux, c'est l'anniversaire d'u=
ne
catastrophe- shoah ou Nekba- pour les Palestiniens qui n'en sont toujours p=
as
revenus. Si les autorités organisatrices ont pris ce risque, c'est
qu'elles se doutent que la riposte des pays «contre» sera
insignifiante. En réalité, dans le monde francophone il s'agit
principalement des pays maghrébins arabes qui sont, dans les faits, =
la
colonne vertébrale de la francophonie qu'ils soutiennent au quotidie=
n en
enseignant et en acculturant leurs peuples dans la langue de Voltaire. Faut=
-il
croire que la francophonie ou plutôt la langue française peut =
se
passer de ces locuteurs? On prête à la France d'accorder une p=
lace
à Israël dans la francophonie. Avec Israêl tout est permi=
s au
nom de la «dette éternelle» contractée à
Auchwitz.
Réaction tardive et maladroite des Arabes
On serait amené à penser que ce boycott n'est que l'oeuvre
d'Arabes revanchards et d'anciens colonisés voulant protester sans q=
ue
cela ne prête à conséquence. C'est peut-être vrai,
mais pas seulement; des Juifs boycottent Israël pour sa politique enve=
rs
les Palestiniens! Ainsi, l'Union juive française pour la paix
écrit: «Le Salon du livre a choisi de faire d'Israël son
invité d'honneur pour les 60 ans de la naissance de cet Etat. Nous a=
vons
d'emblée dénoncé ce choix au moment où cet Etat
viole systématiquement le droit international, nie les droits du peu=
ple
palestinien, multiplie les crimes de guerre. Depuis des mois, l'Ujfp travai=
lle
donc avec les Editions La Fabrique auxquelles elle est associée par
l'intermédiaire de sa revue De l'autre côté - à
contrer cette opération sur le terrain du Salon du livre -qui appart=
ient
à tout le monde et non à Israël- en créant un
pôle avec ceux pour qui ce sont les 60 ans de la Naqba qu'il faut
rappeler, ceux pour qui c'est Israël qui doit être sanctionn&eac=
ute;
et boycotté tant qu'il mène cette politique criminelle. Pour
cela, nous avons invité plusieurs auteurs connus pour leur travail et
leur lutte, ceux qu'avec «La Fabrique» nous faisons connaî=
;tre
car ils combattent l'occupation. Les menaces, nous en avons déj&agra=
ve;
reçues, notre stand fait scandale en tant que tel. Des auteurs tels =
que
Amira Hass, Michel Warschawski, Ilan Pappe, Eyal Weizman, Jamal Zahalka
(député du front national démocratique en Israël =
et
auteur d'articles), Yael Lerer (directrice des éditions Andalous qui
traduisent la littérature arabe en hébreu pour faire
connaître la culture arabe) sont invités à prendre la
parole dans différents débats à l'intérieur du
salon sur notre stand, ou sur une aire de débat indépendante =
à
l'extérieur du salon, à Sciences Po et Reid Hall. La situation
terrible faite à Ghaza par les gouvernements israéliens
successifs depuis plusieurs mois, plusieurs années, s'aggrave encore.
Aujourd'hui, Aaron Shabtai, invité de la délégation
israélienne, refuse de mettre les pieds au Salon du Livre, c'est, bi=
en
sûr, tout à son honneur. Qu'Ilan Pappe, invité par Faya=
rd
pour la sortie de son dernier ouvrage, et par nous pour porter cette parole,
préfère le boycott pur et simple, nous le comprenons...Quant
à nous, partisans du boycott et de sanctions contre l'Etat
israélien en raison de ses crimes, nous y serons et nous y ferons le
travail que nous nous sommes promis d'y faire: diffuser d'autres idé=
es
et d'autres points de vue sur Israël aux 200.000 visiteurs qui viendro=
nt,
comme chaque année, parcourir les allées du Salon.
«Boycotter Israël, ce n'est pas boycotter les Israéliens =
qui,
en Israël même, se battent contre les crimes de leur gouvernemen=
t et
de leur armée. Quand nous avons boycotté l'Afrique du Sud, no=
us
n'avons pas boycotté l'ANC ni les écrivains blancs antiaparth=
eid.
Nous ne laisserons pas Israël occuper le Salon du Livre et prendre en
otage les deux cent mille visiteurs du salon sans contradiction».(4) =
En définitive, les pays arabes se réveillent bien tard. Ils
auraient accepté de participer, semble-t-il, il y a un an, en
connaissance de cause. C'est à n'en point douter, les derniers massa=
cres
à Ghaza qui les ont fait réfléchir et reculer. Sans
prendre à mon compte la position alambiquée de Tariq Ramadan,=
je
pense personnellement, à l'instar de ce qu'à proposé
l'Ufjp, de proposer d'assister en ferraillant dans les débats et
choisissant à dessein des thèmes des ouvrages, des
conférences et des auteurs sur la Palestine. Une façon
élégante de répondre à ce parti pris qui ne veut
pas dire son nom. C'est ce que veut faire Dominique Vidal du Monde
Diplomatique, bien que sa démarche soit ambiguë, nous devons la
rapporter entièrement: «Dominique Vidal a déclaré
qu'à titre personnel, il a pris l'initiative d'organiser avec les
éditeurs français concernés un débat (sur
"vingt ans de nouvelle histoire israélienne") au sein du
Salon, mais de façon autonome. Je n'envoie de machine de guerre cont=
re
personne, je suis un partisan de la bataille d'idées. Et le fait d'i=
nvestir
le Salon suscite des réactions». D.Vidal y présentera s=
ans
doute son dernier livre: Comment Israël expulsa les Palestiniens
(1947-1949) (L'Atelier, 2007. (5)
On doit à la vérité de l'information d'ajouter que
«le livre de Dominique Vidal est préfacé par
l'ex-ambassadeur d'Israël en France et aux Nations unies, Yehuda Lancr=
y,
actuel co-président de la "commission bilatérale de haut
niveau France-Israël", et prochain invité au dîner du
Crif célébrant les 60 ans d'Israël» C'est toute
l'ambiguité de cette initiative.
Pour faire comme Dominique Vidal, cela suppose, on l'aura compris, une
coordination des Arabes. Ibn Khaldoun nous l'interdit à jamais; n'es=
t-ce
pas lui qui, un jour de spleen, déclamait ce syllogisme redoutable:
«Ittafaqua Al ‘Arab an la Iattafiq». «Les Arabes se
sont mis d'accord pour ne pas se mettre d'accord». ll nous reste &agr=
ave;
prier qu'il n'ait pas dit cela. Il reste que nous brillons par notre manque
d'imagination. Lawrence d'Arabie avait raison d'écrire à prop=
os
des Arabes: «Peuple des beaux départs...», l'arriv&eacut=
e;e
étant toujours problématique.
1.Salon du Livre: le choix d'Israël irrite les arabes NouvelObs.
3/03/2008.
2.Theodor Herzl, 3. September 1897, in: Briefe und Tagebücher. Bd. 2:
Zionistisches Tagebuch 1895-1899. Berlin 1984, p. 539.
3.Lettre d'Albert Einstein: http://www.qumsiyeh.org/ Traduction: MG pour ISM
Dimanche 02 mars 2008
4.Communiqué Ujfp à propos du Salon du livre de Paris 3/03/20=
08
5.http://www.bakchich.info/article2911.html
Pr Chems Eddine CHITOUR
(*) Ecole Polytechnique Alger